Les catholiques traditionalistes confortés par le décret papal
LE MONDE | 09.07.07 | 14h32 • Mis à
jour le 09.07.07 | 14h32
ur le
parvis de l'église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, fief parisien des
catholiques intégristes, les cantines en fer des scouts sont le seul
signe d'agitation estivale. Dimanche 8 juillet, les messes qui
s'enchaînent depuis le début de la matinée font le plein. Les
fidèles qui se croisent affichent la tranquille assurance de ceux
qui ont eu raison avant l'heure. Et beaucoup "se réjouissent"
de la décision de Benoît XVI, qui, la veille, a annoncé la
libéralisation du rite ancien - celui du concile de Trente
(XVIe siècle) : le prêtre célébrant la messe en latin,
dos à l'assemblée, et dans une gestuelle immuable, manie l'encensoir
en multipliant les génuflexions.
Mgr Luca Brandolini, membre de la commission de
la liturgie au sein de la Conférence des évêques
italiens, a regretté dans un entretien à La
Repubblica la publication du motu proprio de
Benoît XVI (Le Monde daté 8-9 juillet) :
"C'est un jour de deuil, non seulement pour
moi, mais pour les nombreuses personnes qui ont
oeuvré au concile Vatican II. Cette réforme est
maintenant enterrée."
Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la
Conférence des évêques de France, a déclaré au
Monde qu'il fallait veiller à ce que les prêtres
qui ont participé au travail liturgique depuis
Vatican II "ne se sentent pas découragés"
par le décret papal.
"C'est
une grande joie de savoir que la messe tridentine est autorisée pour
tous les prêtres", reconnaît Frédéric Jacquinet, un paroissien
de 39 ans. "Cette décision récompense tous les efforts de la
Fraternité Saint-Pie X depuis des années", défend ce père de 6
enfants. Créée par Mgr Lefebvre en 1970, la Fraternité sacerdotale
Saint-Pie X rassemble les catholiques schismatiques, opposés à la
réforme de l'Eglise induite par le concile Vatican II.
"D'un point de vue apostolique, le texte du pape
ne peut être que bénéfique, estime Nicolas, un gaillard
chauve de 32 ans. Le retour à la tradition peut aider des gens
qui, depuis Vatican II, avaient pris leurs distances avec la
pratique religieuse, à revenir à l'église. La liturgie c'est comme
une recette de cuisine. Ce sont des gestes précis, si on en change,
le résultat est moins bon !" Pour Bernard Pons, 49 ans, sanglé
dans un costume strict : "L'Eglise est un vaisseau ; avec cette
décision du pape, elle reprend le bon cap. Les autorités religieuses
voient bien que quelque chose ne fonctionne pas, alors elles
reviennent à plus de sacralité."
Soucieux de promouvoir "l'unité" de l'Eglise, Benoît XVI
peut-il avec ce texte rallier une partie des schismatiques ? Son
missel ancien enserré dans un étui en cuir, Marie-Pierre Gérard, 49
ans, assure qu'elle pourrait suivre une messe tridentine dans sa
paroisse d'origine si un curé "conciliaire" la célébrait. Mais peu
partagent son avis. Pour James, aller prier ailleurs qu'à
Saint-Nicolas est "impensable" : "Le rite n'est pas tout ;
il y a aussi les valeurs. Si les curés ont peur qu'on
débarque dans leur paroisse avec notre idéologie
anti-droit-de-l'hommiste, ils peuvent être rassurés, on restera
ici."
Ces ultras, portés par des cadres religieux ancrés dans leur
radicalisme, ne voient dans le motu proprio qu'un "premier
pas". Monté en chaire pour les "annonces du jour" et le
sermon, l'abbé Beauvais illustre cette intransigeance. Lisant une
déclaration du supérieur de la Fraternité, Mgr Bernard Fellay, qui
reconnaît dans le texte papal, "une indéniable avancée"
devant être "prolongée par des discussions théologiques",
l'abbé souligne qu'un "combat a été gagné mais qu'il s'agit
désormais d'éradiquer la messe protestantisée de Paul VI".
Ailleurs dans la galaxie des "cathos tradis", la satisfaction
paraît sans réserve. "Ce texte m'inspire une très grande joie,
même si je ne fais aucun triomphalisme", témoigne Philippe
Laguérie, supérieur de l'institut du Bon Pasteur à Bordeaux.
Compagnon de route de Mgr Lefebvre, il a choisi de réintégrer
l'Eglise en septembre 2006. "La guerre liturgique a divisé
l'Eglise, la paix liturgique va la réunir", prévoit-il. Matthieu
Mautin, 30 ans, veut aussi s'en convaincre. Depuis des semaines, il
tente avec un groupe de fidèles de rétablir une messe en latin à
Niafles (Mayenne). "Notre quête est validée par le pape,
estime-t-il à la lecture du motu proprio. Ce texte
va lever les blocages d'une partie de l'épiscopat français. Et je ne
pense pas qu'il produise de conflit entre communautés ; il est
plutôt de nature à clarifier les situations."
Dans d'autres milieux catholiques, y compris chez certains
évêques, la crainte existe de voir ce texte attiser les
antagonismes. L'hebdomadaire Témoignage chrétien en désaccord
avec le motu proprio s'en fait l'écho dans un éditorial en
latin, paru le 5 juillet : "Quelles que soient les conditions de
la mise en oeuvre de ce biritualisme de fait, les traditionalistes
ont gagné. Bonne chance à tous ceux (...) qui
résisteront."